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Thématique : Education/jeunesse/sport/recherche
Date : 21 mai 2013
Type de contenu : Intervention
Mme Françoise Cartron , rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Monsieur le président, monsieur le ministre de l’éducation nationale, madame la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, Pierre Mendès France affirmait : « Si notre République […] est capable de comprendre l’espérance des filles et des garçons de France, d’épouser cette espérance, de la servir dans chacune de ses décisions, alors elle n’a rien à craindre des […] extrémistes, car elle sera toujours plus forte et plus vivante, portée par sa jeunesse, ardemment défendue, et chaque jour renouvelée par elle ».
Monsieur le ministre, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République que vous portez, et que j’ai l’honneur de rapporter au Sénat, s’inscrit pleinement dans cette belle ambition.
Ce texte, issu d’un long travail de concertation, dont il faut saluer l’ampleur et la qualité, est au cœur du projet politique du Président de la République.
Aujourd’hui, notre société est traversée par des crises multiples : crise majeure du chômage, crise de l’exclusion et de la stigmatisation, crise des repères et du sens collectif.
C’est un fait, le redressement de notre pays est pleinement lié à notre capacité à redonner à notre système éducatif des orientations claires et des moyens, indispensables.
L’école française souffre de plusieurs maux. Elle ne corrige pas les inégalités sociales, elle les cristallise en inégalités scolaires. Les résultats, tous niveaux confondus, ne sont pas satisfaisants et, pis, régressent au lieu de progresser. Un nombre inacceptable de jeunes sortent du système scolaire sans qualification.
C’est un fait, également, notre école est désorientée, elle a été abîmée par les coups subis ces dernières années.
Je pense notamment à la suppression massive des postes, effectuée sans discernement, à la multiplication des expérimentations en tous sens et en tous genres, faite sans évaluation, et à la dureté du quotidien scolaire vécu par nombre de jeunes et de professeurs.
Oui, c’est bien de refondation qu’a besoin notre école, de la redéfinition d’un cap et d’engagements forts sur les moyens indispensables à la réalisation de ces objectifs.
Telle a bien été la volonté de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat dans ses travaux préparatoires, au cours desquels soixante-dix auditions ont été conduites, sur plus de cent heures, et plusieurs déplacements effectués.
Par l’adoption de 138 amendements, émanant de tous les groupes politiques, nous sommes parvenus à approfondir et à enrichir le projet de loi.
En préambule de cette discussion générale, je souhaite donc revenir sur ces différents apports.
Afin de réaffirmer la démocratisation du système scolaire, condition de notre cohésion nationale, la commission a estimé qu’il était nécessaire de clarifier l’ambition que nous avons pour l’école, de préciser le sens qu’elle revêt. Cette démarche constitue, pour la commission, la première pierre de l’édifice refondé.
Ainsi, elle s’est largement employée à fixer le cap et à rappeler les valeurs fondamentales qui doivent permettre à tous les enfants de se construire. Elle tenait à les voir inscrites dans le premier article du code de l’éducation.
C’est également au regard du nouvel article 3 A du présent projet de loi, fruit de plusieurs amendements, que les autres dispositions adoptées par la commission doivent être appréhendées.
Ainsi, nous avons souhaité rompre avec l’idée selon laquelle certains élèves étaient condamnés à l’échec. Parce qu’il n’y a pas de fatalité qui inscrirait irrémédiablement des élèves dans une scolarité chaotique, nous réaffirmons le principe selon lequel tout enfant est capable d’apprendre et de progresser. L’éducation nationale doit garantir l’universalité du droit à l’éducation, par un renforcement de l’obligation d’inclusion scolaire de tous les enfants, indépendamment de leurs origines, de leur milieu ou de leur condition de santé. Elle doit aussi assumer la mission fondamentale de lutte contre les inégalités culturelles et sociales.
En portant les efforts sur le premier degré et les enfants les plus fragiles, grâce, notamment, à la création de 14 000 postes d’enseignants titulaires, le Gouvernement opère, à cet effet, une véritable révolution copernicienne, et elle était indispensable.
Face aux difficultés diverses, rencontrées dès la petite enfance, l’école primaire constitue, en effet, le lieu d’épanouissement privilégié. C’est pourquoi 3 000 postes seront destinés à l’accueil des enfants de moins trois ans, en particulier dans les zones d’éducation prioritaire, dans les territoires ruraux et en outre-mer. Cette préscolarisation, remise en cause ces dernières années, est essentielle pour un certain nombre d’enfants. Elle leur permet de développer leur langage, de s’ouvrir au monde du réel et du sensible, acquis indispensables à la réussite des apprentissages fondamentaux dispensés à l’école primaire.
En construisant des parcours pédagogiques adaptés, qui tiennent compte des différences de rythme et de maturité de chaque enfant, les difficultés scolaires, sources d’échec, seront surmontées. C’est pourquoi 7 000 postes seront affectés aux mesures de soutien dans les zones prioritaires, notamment au dispositif « plus de maîtres que de classes ».
Aujourd’hui, l’ensemble des recherches et des études sur ce sujet a conclu à l’inefficacité des systèmes scolaires qui procèdent à des orientations précoces vers l’alternance ou la formation professionnelle. Le projet de loi a donc prévu de renforcer le collège unique, qui conditionne à terme l’élévation du niveau de qualification globale.
Dans la refonte de la régulation du système éducatif au service de la démocratisation, le Conseil supérieur des programmes et le Conseil national d’évaluation du système éducatif auront un rôle clef à jouer.
Notre commission a prévu que les personnalités qualifiées nommées ne pourront pas siéger au sein des deux conseils. Par souci de transparence, elles pourraient être aussi nommées après avis des commissions chargées de l’éducation.
Dans le nouvel article 3 A, introduit par la commission, les valeurs fondamentales que sont le respect de l’égale dignité des êtres humains, la liberté de conscience et la laïcité, ont également été inscrites. Elles sont celles que le service public de l’éducation doit incarner et transmettre, en même temps que les connaissances, les compétences, et la culture.
C’est au nom de ces mêmes valeurs que la commission entend encadrer plus strictement la mise à disposition des locaux et des équipements scolaires à des tiers, afin que la neutralité et la laïcité du service public soient pleinement respectées.
En application des recommandations qu’elle avait émises dans le rapport d’information sur la carte scolaire, notre commission a également assigné explicitement au service public de l’éducation la mission de veiller à la mixité sociale au sein des établissements scolaires.
L’assouplissement de la carte scolaire, qui devait donner aux parents une plus grande liberté dans le choix des établissements, et devait être favorable, notamment, aux élèves issus de milieux sociaux défavorisés, a agi en trompe-l’œil. Cette réforme s’est faite, contrairement à son objectif initial, au bénéfice des familles qui maîtrisent le mieux les parcours scolaires, celles dont le capital socioculturel est le plus grand. En sous-entendant l’existence de bons et de mauvais établissements, elle n’a fait de surcroît qu’entretenir une concurrence préjudiciable, au détriment des personnes déjà victimes de la ségrégation, qui ont vu leur ghettoïsation et leur homogénéité sociale renforcées.
Dans ce système, les options et les parcours spécifiques sont devenus, le plus souvent, des outils au service de stratégies de dérogation et ne servent plus, à proprement parler, le projet pédagogique. Ils sont devenus un instrument de différenciation sociale entre les établissements, et à l’intérieur même de ces derniers. Si la solution n’est pas dans un retour à une sectorisation stricte, elle réside de manière certaine dans l’élaboration de nouveaux instruments de régulation et de nouveaux critères d’affectation.
C’est sur la base de ce constat, monsieur le ministre, que vous avez indiqué, dans la circulaire de rentrée 2013, que les demandes de dérogation formulées sur la base d’un parcours scolaire particulier ne seraient plus prioritaires. C’est un premier pas.
En partant des préconisations de la mission, notre commission a intégré dans ce texte l’élargissement des secteurs de recrutement des collèges, sous l’autorité des conseils généraux, afin qu’ils puissent définir des secteurs communs à plusieurs collèges publics dans un même périmètre de transport urbain, favorisant ainsi un brassage des publics.
Afin de faire émerger une nouvelle école, ouverte vers ses partenaires, où la coconstruction est la règle, et non un obstacle, l’article 3 A précise également que l’école se construit nécessairement avec les parents et, plus généralement, par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative.
Cette approche, nous la retrouvons dans la réforme des rythmes scolaires. Écoles, collectivités territoriales, associations culturelles et sportives ou encore mouvements d’éducation populaire auront l’occasion de mener, ensemble, des actions qui organisent de manière globale les temps éducatifs de l’enfant, à travers les projets éducatifs territoriaux. Certes, cette entreprise commune n’est pas ancrée dans les pratiques, et elle ne sera pas facile à mettre en place. Elle est cependant indispensable. C’est en favorisant la cohérence et la synergie entre tous les partenaires de l’école que nous ferons naître des approches nouvelles.
Cette démarche partenariale, que nous soutenons, a pris corps, plus globalement, dans une série d’amendements concernant l’ensemble des acteurs de la communauté éducative.
Ainsi, notre commission a intégré les associations éducatives complémentaires de l’enseignement dans la définition de la « communauté éducative » inscrite dans le code de l’éducation. De la qualité du dialogue qui sera ainsi noué dépendra la réussite de nombreux projets.
Le rapport issu de la concertation reprenait, par ailleurs, la notion d’une coéducation entre les parents et l’école. Notre commission en a fait un axe fort de son travail. Elle a cherché à établir, par plusieurs amendements, un véritable pacte de confiance et de responsabilité avec les familles.
Tout d’abord, notre commission a souhaité rappeler son attachement au principe fondamental de l’école inclusive.
C’est pourquoi elle considère à l’unanimité de ses membres que l’accord des parents doit rester un préalable à toute décision de changement d’orientation d’un élève handicapé.
Parce que toute rupture entre la sphère familiale et la sphère scolaire serait préjudiciable au suivi de l’enfant, nous avons maintenu le principe d’un accord des parents et d’une mise en œuvre conjointe avec l’équipe éducative de tous les dispositifs d’aide personnalisés.
D’une manière générale, le texte de la commission pose un principe directeur : l’éducation nationale doit mener un travail approfondi de dialogue avec les parents pour établir des relations de confiance. Il est d’ailleurs primordial de s’efforcer de tisser des liens avec les familles les plus éloignées de l’école.
À cette fin, la commission a inséré plusieurs dispositions qui devraient permettre, à terme, de rapprocher les familles de l’institution scolaire. D’abord, dans les missions des enseignants figureraient l’information et l’aide aux parents pour leur permettre de suivre la scolarité de leur enfant. Ensuite, dans chaque établissement scolaire, un espace serait aménagé à l’usage des parents et de leurs délégués ; ils pourraient s’y retrouver et échanger. Enfin, le conseil d’administration des collèges et des lycées dresserait chaque année un bilan des actions menées à destination des parents d’élèves.
De surcroît, dans un esprit de responsabilisation des parents d’élèves, notre commission a choisi d’inscrire dans un cadre légal l’autorisation de mener une expérimentation sur trois ans en matière d’orientation à la fin de la classe de troisième. La décision serait confiée aux parents avec le souci de lutter contre l’orientation subie par défaut, bien souvent à la source du décrochage scolaire.
Lorsque nous avons abrogé la loi Ciotti, qui visait prétendument à enrayer l’absentéisme scolaire par la menace financière, à savoir la suspension des allocations familiales, nous ne défendions pas autre chose. (Murmures sur les travées de l'UMP.) Cette disposition injuste, inefficace…
… et univoque, était une double peine infligée à des familles souvent fragilisées et démunies.
Elle risquait par conséquent de les éloigner durablement, voire définitivement d’un système de soutien pérenne. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
À l’inverse, nous avions introduit des mesures d’accompagnement des parents selon les difficultés analysées, ainsi que des actions de remédiation et de soutien personnalisé auprès de l’élève en rupture, en mobilisant les professionnels compétents. Il s’agit donc d’associer et non plus de compartimenter, de stigmatiser ou d’exclure.
Notre commission a souhaité accorder une place toute particulière aux langues. Outre l’enseignement de langue étrangère obligatoire, prévu dès le premier degré, il est proposé que les enfants puissent recevoir une sensibilisation à la diversité linguistique. Dans ce cadre, les langues parlées dans les familles allophones ou bilingues pourraient être favorisées. Les langues régionales trouvent toute leur place dans une telle ouverture vers les cultures qui contribuent à la richesse de nos territoires.
Afin de faire émerger une nouvelle école, ouverte sur son environnement et en phase avec les exigences de son temps, la commission a précisé que l’organisation du service public d’éducation, les méthodes d’enseignement et la formation des maîtres devront favoriser la coopération entre les élèves.
Reconnaissons-le, l’approche élitiste de l’enseignement qui a longtemps prévalu caractérise malheureusement un système qui, sous couvert d’excellence, produit toujours plus de décrocheurs et toujours moins de bons élèves.
La modernisation pédagogique que nous proposons tend à faire en sorte que l’école soit le lieu non plus d’une compétition effrénée, mais de la coopération entre eux.
Cela sera rendu possible par le rétablissement d’une formation des maîtres ambitieuse. Conséquence de l’échec avéré de la mastérisation, le texte prévoit la mise en place dès la rentrée prochaine des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE.
Ni IUFM ni écoles normales, ces structures nouvelles porteront l’ambition de répondre aux besoins actuels de formation initiale et continue, ainsi qu’aux nouvelles exigences pédagogiques. Ce sont 27 000 postes qui seront créés à cette fin.
Comme il est précisé dans le projet de loi, ces écoles contribueront au développement d’une culture professionnelle partagée par tous les enseignants, en proposant des modules de formation de la maternelle à l’enseignement supérieur.
Notre commission, en prévoyant la présence de représentants de l’établissement intégrateur au sein du conseil de l’ESPE, entend assurer une coopération étroite et fructueuse, à des fins pédagogiques, entre l’école et les unités de recherche. Par ailleurs, elle a souhaité consacrer la diversité des formateurs professionnels intervenant dans ces structures, qui doivent comprendre aussi bien des enseignants exerçant dans le milieu scolaire et des universitaires que des acteurs de l’éducation populaire, de l’éducation artistique et culturelle et de l’éducation à la citoyenneté.
Il convient également de prévoir un renforcement de la formation des cadres de l’éducation nationale – je pense notamment aux inspecteurs –, qui apparaît aujourd’hui insuffisante. La commission a souhaité qu’ils puissent bénéficier d’une formation les préparant à l’ensemble des missions d’évaluation, d’inspection et d’expertise, mais aussi d’animation pédagogique qui leur sont assignées. À défaut, l’impulsion donnée par la loi risquerait de s’épuiser sur le terrain, faute de relais efficaces.
Dans ce sursaut pédagogique, les nouvelles technologies joueront un rôle éminent pour le renouvellement tant des moyens d’enseignement que des méthodes d’apprentissage. Elles favoriseront à n’en pas douter la coopération entre les élèves et la transversalité des enseignements.
À cet égard, la création d’un service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance donnera le cadre qui manque aux actions en faveur numérique à l’école. La formation des enseignants à l’utilisation des outils et des ressources numériques constituera également une avancée importante. De même, les enfants bénéficieront de l’information nécessaire sur les chances, mais aussi sur les risques liés à internet.
Notre commission a souhaité apporter quelques précisions. Elle a notamment choisi d’élargir le rôle des services numériques mis à disposition des écoles et des établissements d’enseignement à l’innovation des pratiques et aux expérimentations pédagogiques favorisant la coopération entre élèves.
Condition indispensable à un développement effectif des usages, des outils et des ressources numériques en milieu scolaire, l’exception pédagogique mériterait par ailleurs un élargissement de son champ, afin d’établir un dispositif plus simple, plus sécurisé mais aussi suffisamment large pour correspondre à la réalité des activités d’enseignement et de recherche.
La loi portant refondation de l’école constitue la matrice des transformations à venir. Elle n’épuise cependant pas les mesures devant y concourir. Les dispositions réglementaires de mise en œuvre seront décisives.
Dans une telle ambition pour notre jeunesse, le Parlement joue aussi son rôle. Je salue le travail accompli à l’Assemblée nationale et par notre commission ici, au Sénat. Je voudrais remercier tous les collègues ayant participé à ces longues séances, ainsi que les fonctionnaires de la commission, qui nous ont assistés et ont effectué un travail considérable.
Les débats qui vont s’ouvrir aujourd’hui et l’examen des 524 amendements qui ont été déposés nous amèneront, je n’en doute pas, à réaffirmer ce que François Hollande rappelait jeudi dernier en conclusion de sa conférence de presse : la promesse de l’égalité n’est pas une nostalgie, cela reste une ambition.
C’est tout l’enjeu de cette loi de refondation que vous portez, monsieur le ministre et dans laquelle nous pouvons tous nous retrouver.