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Réforme pénale : intervention de Virginie Klès

Thématique : Justice/sécurité

Date : 24 juillet 2014

Type de contenu : Intervention

Mme Virginie Klès : 

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je rejoins notre collègue Yves Détraigne lorsqu’il salue le travail extrêmement important fourni par Jean-Pierre Michel. En revanche, je ne partage nullement ses conclusions, puisque j’approuve totalement les positions de notre rapporteur et le texte dans sa version amendée par la commission des lois.

Au mois de février 2004, un certain Monsieur B. a demandé un rendez-vous au maire de Châteaubourg que j’étais, afin de solliciter la possibilité d’utiliser des salles de sport. Lors de ce rendez-vous, qui a eu lieu une dizaine de jours plus tard, il m’a exposé les motifs de sa démarche. Il venait de sortir de prison après avoir purgé une peine d’environ deux ans à Nantes, sachant qu’il avait été transféré à Rennes quinze jours avant sa libération, car il a de la famille à Châteaubourg.

Ladite famille était d’ailleurs déjà connue des services sociaux, et le foyer, composé d’un couple vivant dans une promiscuité certaine, ne présentait pas vraiment les conditions de logement adaptées pour accueillir une personne de sexe masculin.

Aussi Monsieur B., qui avait été convaincu au cours de sa détention de l’importance de l’hygiène, souhaitait-il pouvoir utiliser les vestiaires des salles de sport, plutôt que de se laver devant sa belle-sœur dans la cuisine de son frère.

Lorsque je l’ai rencontré, sa situation s’était déjà dégradée en une dizaine de jours.

En effet, libéré de prison avec 200 euros en poche, et déterminé à s’en sortir, il avait commencé par s’inscrire dans une agence d’intérim, puis avait acheté un téléphone portable – il n’y a pas de téléphone chez son frère –, convaincu qu’il serait rapidement contacté par un employeur désireux de le recruter. En outre, comme il avait été sensibilisé en prison à l’importance de l’apparence extérieure, et notamment d’une bonne dentition, il était allé chez le dentiste. Et, après avoir payé la consultation, il s’était rendu compte qu’il n’avait plus d’argent.

Il avait alors décidé de solliciter sa tutrice. Mais, comme cette dernière habite à Nantes, elle ne pouvait lui fournir d’argent que par virement. Et Monsieur B. ne pouvait pas ouvrir de compte bancaire, puisque sa carte d’identité était périmée !

Sa seule possibilité était donc de se rendre jusqu’à Nantes. Sauf qu’il n’avait plus assez d’argent pour acheter un billet de train. Il a donc voyagé sans payer et s’est vu infliger une amende par le contrôleur. En plus, comme il n’avait pas téléphoné avant de venir, une fois arrivé sur place, il s’est rendu compte que sa tutrice n’était pas là. Il est donc revenu à Châteaubourg en train, là encore sans payer, ce qui lui a valu une deuxième amende. Ayant absolument besoin d’argent, ne serait-ce que pour se nourrir ou s’habiller, il est retourné à Nantes dans les mêmes conditions, et s’est encore fait contrôler. Au total, quand je l’ai rencontré, il devait payer six amendes de cinquante-quatre euros chacune, correspondant à trois allers-retours entre Châteaubourg et Nantes. Cela commençait à faire beaucoup.

Monsieur B., qui affirmait être déterminé à s’en sortir, demandait de l’aide. Sa tutrice décida de lui envoyer un mandat. Mais, à la poste, il ne pouvait pas récupérer l’argent envoyé, puisque sa carte d’identité était périmée. Et, n’ayant pas d’argent, il ne pouvait pas faire les photos d’identité indispensables pour l’obtention d’une nouvelle carte.

Au sein de la mairie, nous avons réussi à débloquer pour partie la situation, notamment en appelant la poste. Mais sa tutrice demeurait toujours à Nantes, et le suivi n’était pas réalisé. Comme nous n’avions pas accès au dossier et ne disposions pas de l’ensemble des éléments, il ne nous était pas possible de l’aider correctement.

Alors, il a récidivé. Au bout de plusieurs mois, il m’a écrit de prison, m’expliquant qu’il voulait toujours s’en sortir. Il voulait que nous le recevions, pour l’aider. J’ai dit que je ferais ce que je pourrais.

Il a de nouveau récidivé, après être sorti une deuxième fois de prison. Aujourd'hui, il y est retourné.

Vous me direz qu’il s’agit d’un cas particulier et que la gauche a tellement tempêté contre le fait de légiférer à partir de cas particuliers. Vous avez raison, on ne légifère pas à partir de cas particuliers quand il s’agit de faits divers exceptionnels, certes médiatiques et médiatisés. Mais le cas de Monsieur B. n’est pas un fait divers exceptionnel et médiatisé. Monsieur B. est un monsieur comme tant d’autres. À l’instar de 80 % de ceux qui sortent de prison, il n’a pas été accompagné une fois sa peine accomplie et n’avait donc aucune chance de réussir à se réinsérer.

Monsieur B. m’avait dit qu’il avait fait des erreurs, et qu’il les avait payées. Il ne voulait pas les réitérer, mais il n’a pas réussi.

Madame la garde des sceaux, nous vous suivrons bien évidemment sur ce texte, qui s’attaque au réel problème de la prison, sanction comprise… ou non comprise. Surtout, il s’agit de ne plus voir de Monsieur B., d’empêcher les sorties de prison non accompagnées, à l’origine de nombreuses récidives, malgré toute la volonté des personnes concernées.

Ce texte est très loin du laxisme dont on l’accuse.

Quand on n’accuse pas la loi de laxisme, on s’en prend aux juges ! C’est toujours le même discours qui revient quand le système ne fonctionne pas ! Où est le laxisme dans le cas de Monsieur B. ? Non, il s’agit non pas d’un texte laxiste, mais d’un texte lucide, qui se fonde sur un vrai diagnostic de la délinquance et de la récidive et s’attaque à la réelle cause des échecs.

C’est un projet de loi en cohérence, cela a été rappelé tout à l’heure, avec un certain nombre d’autres textes que nous avons adoptés ici, au Sénat, avec un certain nombre de positions que nous avons prises ici même, quelles que soient d’ailleurs les travées sur lesquelles nous siégeons.

Ce texte vise à prévoir un suivi efficace des détenus au moment de leur sortie de prison. C’est un texte de courage, parce qu’il faut du courage et de la pédagogie pour tenir un discours de vérité auprès du grand public. Il faut du courage pour expliquer que la dissuasion ne repose pas sur le quantum des peines, que tous les délinquants sont persuadés qu’ils ne seront pas pris. Chaque fois que Monsieur B. a pris le train, il pensait qu’il ne serait pas contrôlé.

Il faut du courage pour rappeler que toute peine, quelle qu’elle soit, a une fin. Il faut donc que les conditions soient réunies pour que la personne sanctionnée, une fois sa peine effectuée, puisse repartir sur ses deux jambes, sur un autre chemin.

Il faut du courage pour affirmer que la dissuasion ne suffit pas, aussi bien pensée soit-elle. Il faut aussi de la persuasion, pour convaincre qu’une autre voie, une autre vie que celle offerte par la délinquance est possible. Il faut du courage pour affirmer qu’il convient de chercher l’inclusion et non l’exclusion, même si l’enfermement peut être nécessaire dans certains cas, pendant un moment donné.

C’est un texte d’innovation et de confiance envers les professionnels de la justice, les magistrats et les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Il se fonde sur les expériences déjà menées par certains de nos voisins.

C’est un texte d’innovation : il permet en effet de sortir du raisonnement ayant si longtemps prévalu, selon lequel l’augmentation des peines suffit à faire diminuer la délinquance. On l’a vu tout au long de la soirée, ce paradigme est aujourd'hui battu en brèche.

Bien sûr, on peut affirmer que ce texte est destiné à faire sortir les gens de prison. Tel n’est pourtant pas le cas ! Aux yeux de mon groupe, un projet politique ne se contente pas de chiffres, et ne traite pas les êtres humains comme des numéros. Un projet politique, c’est un vrai projet, qui vise à faire diminuer la délinquance, à lutter contre la récidive, à réinclure et à réinsérer des personnes qui, à un moment donné, ont enfreint la loi.

Bien évidemment, si l’adoption de ce texte avait pour conséquence de vider les prisons, ce serait une saine conséquence, ne serait-ce que parce qu’elles seraient ainsi rendues plus dignes, plus efficaces, plus utiles à la société. Selon moi, les prisons françaises sont aujourd'hui la honte de notre République.

Ce projet de loi ne nie pas les évidences. Oui, la récidive existe et existera. Non, nous ne parviendrons jamais à un taux de récidive ni à un taux de délinquance de 0 %. La récidive est une rechute qui ne signifie pas la perte de tout espoir. Voyez, sur ce sujet, le parcours de Yazid Kherfi, qu’il décrit lui-même dans ses livres. Il a récidivé plusieurs fois avant de se sortir définitivement de la délinquance et de devenir éducateur en milieu carcéral, afin d’aider des jeunes à sortir eux aussi de la délinquance.

Quant à nos prisons, elles sont aujourd'hui une école de l’humiliation. Or l’humiliation n’a jamais été la bonne porte de sortie de la délinquance.

Ce projet de loi, qui comporte quatre grands points, vise à créer une nouvelle peine, la contrainte pénale. Ne mentons pas en y associant le terme de crime, qui est si mal compris par nos concitoyens. Un crime n’est pas un homicide ! Un crime, dans notre code pénal, c’est une certaine catégorie d’infractions. L’existence de la contrainte pénale ne signifiera pas que les personnes ayant commis un homicide n’iront pas en prison ! Tenons ce discours de vérité.

Pour résumer, ce texte tend à créer une nouvelle peine, à proscrire toute sortie sèche et à prendre en compte la place des victimes, même si celles-ci ne doivent pas être au centre du procès pénal. Parce que des moyens sont prévus – le Gouvernement s’y est engagé, et je lui fais confiance –, ainsi qu’une évaluation de la loi, qui fera office de juge de paix en 2017, la prévention de la récidive connaîtra des victoires, j’en suis intimement persuadée.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste soutiendra ce projet de loi.

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