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Thématique : Pouvoirs publics/Institutions/Etat
Date : 10 juillet 2017
Type de contenu : Intervention
M. Jean-Pierre Sueur :
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, Jack Lang avait dit, à propos d’un événement considérable de la vie politique française, que l’on était passé de l’ombre à la lumière…
L’expression était quelque peu emphatique. De manière tout aussi emphatique, les présents textes ont parfois été présentés ici ou là comme marquant une rupture, avec un « avant » et un « après ».
Je préfère considérer, à l’instar de Philippe Bas et comme vous l’avez vous-même noté, madame la garde des sceaux, qu’il s’agit des trente-deuxième et trente-troisième lois sur les sujets de financement, de transparence et de moralisation de la vie politique, depuis la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique et les lois présentées par les précurseurs en la matière que furent Michel Rocard et Alain Juppé, jusqu’à la dernière loi du 11 octobre 2013, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur pour le Sénat et qui a créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, traité des conflits d’intérêts et permis de beaucoup avancer. Continuons à aller de l’avant sur ces sujets !
Je veux brièvement aborder cinq points.
Premièrement, je veux évoquer la question de la définition des partis politiques. J’ai appris avec surprise, madame la garde des sceaux, qu’il y avait aujourd'hui, en France, 451 partis politiques, et non, contrairement à ce que nos concitoyens peuvent peut-être penser, une quinzaine ou une vingtaine.
Ce chiffre s’explique par des règles assez complexes qui, dans les départements métropolitains, et surtout en outre-mer, permettent de constituer très facilement des partis politiques. Ainsi, un parti de la Moselle, que je ne citerai pas, a pu s’implanter en Guadeloupe grâce à quelques voyages, permettant à certains de ses candidats d’y glaner quelques voix… Il faut réformer cela ! Comme le disait justement Alain Richard, il ne s’agit pas tant du financement public que de la possibilité de dons, lesquels entraînent naturellement des réductions fiscales non négligeables, de 66 %.
On ne saurait laisser perdurer ce système. Les membres du groupe socialiste et républicain ont déposé un amendement en ce sens. Certains de nos collègues ont fait de même, et je sais que M. le président de la commission y travaille actuellement. J’appelle de mes vœux, madame la garde des sceaux, une ouverture de votre part sur cette question.
Deuxièmement, je veux aborder la question des emplois dits « familiaux ».
Comme certains l’ont considéré très justement, il faut cesser de faire la loi à partir de l’actualité. Je me souviens de ce Président de la République – chacun le reconnaîtra –, qui, après un crime crapuleux commis par une personne récemment sortie de prison, a annoncé une nouvelle loi depuis le perron de l’Élysée. Est-ce une bonne manière de légiférer ? En l’occurrence, il est évident que, sans les épisodes des derniers mois, personne ne parlerait aujourd'hui des emplois familiaux…
C’est pourquoi notre groupe, tout en souscrivant à la disposition du projet de loi, a proposé que celui-ci traite plus globalement de la question des collaborateurs parlementaires. En effet, ceux-ci pourraient ne pas apprécier, à juste titre, qu’il ne soit question d’eux dans la loi qu’au travers de la problématique des emplois familiaux. Nous formulerons donc des propositions, au travers de plusieurs amendements.
En particulier, compte tenu de la situation actuelle d’un certain nombre de collaborateurs parlementaires, notamment à l’Assemblée nationale, nous proposerons qu’une cessation d’activité pour cause de non-réélection ou de démission du parlementaire puisse être qualifiée de licenciement économique, sous réserve toutefois que le parlementaire ne soit pas assujetti aux articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1 du code du travail, ce qui ce serait matériellement impossible.
Troisièmement, pour ce qui concerne la dotation d’action parlementaire, couramment appelée « réserve parlementaire », j’aurais compris que ces textes nous fussent proposés voilà dix ou quinze ans, madame la garde des sceaux.
Quand je suis arrivé dans cette noble assemblée, j’ai compris que la réserve parlementaire était un sujet complexe et qu’elle était parfois source de disparités – vous connaissez, mes chers collègues, mon sens de l’euphémisme… (Sourires.) Toutefois, il se trouve que, grâce à un travail qui a été mené au sein de notre assemblée, le fonctionnement de la réserve est aujourd'hui transparent. On connaît absolument le montant des « propositions », car il s’agit bien de propositions … que nous pouvons formuler pour l’utilisation de la ligne budgétaire correspondante du ministère de l’intérieur. Nous ne disposons pas d’une somme en tant que telle.
Toutes les sommes affectées, que ce soit aux petites communes rurales ou aux quartiers en difficulté – je me tourne vers ma collègue Évelyne Yonnet – sont publiques. Tout le monde peut les connaître. Elles sont totalement transparentes !
Vous le voyez, madame la garde des sceaux, le système qui existe aujourd'hui est clair, ce qui n’était pas le cas jadis et naguère. Les membres de notre groupe ont donc considéré que ce dispositif était quelque peu hors sujet. Nous ne voyons pas en quoi affecter ces subventions à de petites communes qui se battent souvent pour joindre les deux bouts afin de réaliser des investissements entraverait la confiance et ne serait pas moral !
Telle est notre position. La commission a adopté un amendement de M. le rapporteur qui vise à proposer une définition extrêmement stricte du nouveau dispositif que vous proposez. Cette piste nous paraît intéressante, pour le cas où vous ne retiendriez pas notre proposition.
Quatrièmement, pour ce qui concerne les indemnités parlementaires, notre commission a pris une décision qui n’est pas sans intérêt ni sans effet. Et je pense que nous avons eu raison. Comme tout le monde le sait, les parlementaires perçoivent, au-delà de leur seule indemnité parlementaire, des indemnités supplémentaires lorsqu’ils exercent certaines fonctions – présidence d’une commission, d’un groupe politique, vice-présidence ou présidence du Sénat… Nous proposons que ces indemnités-là, qui sont liées à l’indemnité parlementaire, soient fiscalisées, en toute transparence.
Pour ce qui est de « l’indemnité représentative de frais de mandats », il est juste que l’on puisse justifier des sommes engagées correspondant à des dépenses professionnelles, sous l’autorité des bureaux de chaque assemblée, selon des règles que nous pourrions fixer conformément à la loi.
Cinquièmement, reste la question du bulletin n° 2 du casier judiciaire. En toute modestie, nous ne partageons pas votre interprétation de la position du Conseil constitutionnel. Je vous expliquerai la position qui est la nôtre et qui est aussi celle de l’Assemblée nationale, laquelle a publié un rapport qui me paraît digne d’être pris en considération.
Pour conclure, je souscris à ce qui a été dit précédemment : les 550 000 élus que compte ce pays sont, dans leur immense majorité, profondément dévoués à l’action publique et ne touchent pas d’indemnité.
Enfin, j’observe, madame la garde des sceaux, que la procédure accélérée a été engagée sur ces textes. Je ne voudrais pas que celle-ci devînt la procédure commune ! Toutefois, c’est un autre sujet, et je pense que, en tant que garde des sceaux, vous y serez très vigilante