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Loi "Travail" : l'intervention de Nicole Bricq

Thématique : Travail/emploi

Date : 13 juin 2016

Type de contenu : Intervention

Mme Nicole Bricq :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il faut le reconnaître, depuis plusieurs semaines, le pays vit sous tension.

Certains secteurs, au demeurant peu ou pas concernés par le texte dont nous débattons, ont été ou sont encore en grève. Sans contester la réalité de ces mouvements sociaux, force est de constater qu’ils n’ont pas eu les effets escomptés. (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)

D’ailleurs, il est assez original que ces mouvements aient lieu au moment même où le patronat et la droite considèrent que le projet du Gouvernement est vidé de son contenu. Un observateur rationnel ne peut que s’étonner de cette contradiction : si le texte n’a plus de substance, il ne devrait plus déranger ceux qui manifestent contre lui !

Je ne veux pas m’attarder sur cette contradiction. Je préfère indiquer d’emblée les deux raisons essentielles pour lesquelles le groupe socialiste soutient le texte du Gouvernement.

Premièrement, nous le savons bien, dans une économie ouverte et mondialisée, il est impératif de prendre la mesure du moment, de façon responsable. Notre économie a besoin de souplesse et de réactivité.

Deuxièmement, nous devons parallèlement accompagner, voire anticiper les mutations du travail, dans le souci constant d’assurer la meilleure protection à celles et à ceux qui vivent ces mutations aujourd’hui et qui les vivront plus encore demain.

Nous savons que nous y arriverons en accroissant les moyens mis en œuvre pour la formation professionnelle, en élargissant son volume et sa qualité. Le Gouvernement en a pris la mesure voilà quelques années déjà.

Nous y arriverons également en permettant l’innovation sociale, en tenant compte des réalités du monde du travail, en appréhendant les aspirations des jeunes, qui n’ont pas le même rapport à l’entreprise que leurs parents et qui paient aujourd’hui le prix fort, très fort de la flexibilité. Ces jeunes bâtissent leur trajectoire de vie de manière plus indépendante. Il n’est que de voir le nombre de jeunes qui créent leur entreprise et qui passent d’un statut à l’autre !

Cet enjeu de l’individualisation du travail ne me semble pas pouvoir être assimilé purement et simplement à une pratique néolibérale. Bref, nous avons à passer du XXe siècle au XXIe siècle. Ne regardons pas dans le rétroviseur !

C’est à la hauteur de cette ambition que je veux resituer le projet de loi.

Madame la ministre, vous portez avec détermination ce texte qui s’inscrit dans l’histoire des socialistes, notre histoire. Votre nom prendra rang dans la lignée des grandes réformes sur le travail de ces trente-cinq dernières années. Je pense aux lois Auroux de 1982, et à la loi défendue en 1998 par Lionel Jospin et Martine Aubry.

Chaque fois que les socialistes ont pris les responsabilités dans notre pays, ils ont affronté la réalité du travail. Pour nous, pour vous, madame la ministre, le travail est une valeur cardinale de la société française. Chaque fois, les socialistes ont ouvert de nouveaux droits pour les salariés et pour tous ceux qui aspirent à mener une vie digne au travers de leur activité et de leur travail.

La période actuelle est décisive. C’est celle de la révolution du travail. Si nous ne bougeons pas, c’est le modèle social qui se délitera. Qu’il y ait des freins, cela me paraît normal. C’est pour cela qu’il faut apporter à la réforme un soutien sans faille, d’autant que la mutation du travail est à l’œuvre depuis les années 1970.

Combattre le chômage sans prendre en compte les évolutions du travail serait une grave erreur historique.

Je veux aussi resituer le projet de loi dans la cohérence du quinquennat de François Hollande.

 Très tôt, dès 2012, celui-ci a mis au centre des décisions des gouvernements successifs la compétitivité des entreprises et la démocratie sociale. Depuis 2012, ce sont les deux piliers de l’action gouvernementale.

François Hollande a d’abord, et très tôt, parié sur le vecteur des négociations nationales. Ce furent les deux accords nationaux interprofessionnels, les ANI, qui se sont succédé dans le temps. Ils ont été transcrits dans deux lois distinctes. Ce faisant – c’est notre singularité par rapport à nos voisins européens –, de nombreux accords de branche et d’entreprises, près de 40 000 par an, ont eu lieu.

Il faut le reconnaître, le dialogue social national a buté. L’échec de l’ANI sur la modernisation du dialogue social, les partenaires n’ayant pas trouvé les voies du compromis, a conduit le Gouvernement à reprendre la main. Ainsi, avec la loi portée par François Rebsamen, c’est le Gouvernement qui a pris l’initiative, les partenaires sociaux n’ayant pas voulu se saisir du thème du dialogue social. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils n’aient pas voulu se saisir de ce texte.

Au demeurant, j’ai noté la volonté de la droite d’aller à l’encontre de la loi Rebsamen. Il est vrai que la gauche contestataire ne l’avait pas non plus votée. Ce n’est pas vraiment étonnant. Les syndicats n’ont pas tous la même vision des évolutions à mener pour conserver le modèle social français. Les divisions patronales ne sont pas moindres.

Dans ces moments de responsabilité, la situation n’est jamais facile pour nous, socialistes. L’équilibre entre le changement par la loi et le changement par la négociation a toujours été notre préoccupation. Nous avons toujours voulu donner droit à la démocratie sociale.

La droite n’a pas ce problème, puisqu’elle veut au contraire s’en affranchir. Il est d’ailleurs symptomatique que, à la fin de son quinquennat, Nicolas Sarkozy ait dénoncé très frontalement ce qu’il décrit comme le « conservatisme des partenaires sociaux ». Il a récidivé en 2014, à Lambersart, commune de l’agglomération lilloise, alors qu’il était à cette époque président de l’UMP. Et les candidats à la primaire s’en donnent à cœur joie. L’un veut réformer le code du travail par ordonnance. Les deux autres veulent obliger les délégués syndicaux à passer 50 % de leur temps sur leur poste de travail. La droite sénatoriale fait écho à cette volonté. Nos rapporteurs ont supprimé l’augmentation de 20 % du temps consacré à la délégation syndicale accordée par le projet de loi.

Pour notre part, nous misons sur le fait que, pour répondre aux nouvelles responsabilités du dialogue social, les délégués syndicaux devront être mieux formés et plus présents auprès des salariés. Nous ne sommes donc pas d’accord.

Nous n’avons pas la même vision de l’entreprise. Lors de l’examen de la loi Macron, nous avions déjà eu le même débat dans cet hémicycle.

La droite confond trop souvent l’entreprise avec l’employeur. Nous considérons l’entreprise comme un collectif humain – nous nous retrouvons à cet égard, monsieur Vanlerenberghe – qui s’intègre à un territoire et à un secteur d’activité, qui affronte la concurrence et qui doit donner à ses salariés les conditions de travail les plus attractives possible, pour qu’ils s’y sentent bien.

Il est prouvé qu’un bon dialogue social dans l’entreprise, au plus près des réalités, est un facteur de compétitivité.

La droite a ses totems. Je pense notamment à la suppression de l’horaire légal, qui fait l’objet d’un amendement. Toutefois, je préfère m’attarder sur quelques outrances.

En proposant de remonter les seuils sociaux, la droite fait croire à tort que le dialogue social est une entrave à l’emploi. Sait-elle qu’en Allemagne et en Suède – ces pays sont souvent cités (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) –, il existe des seuils sociaux inférieurs aux nôtres pour la mise en place d’un comité d’entreprise ou d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, un CHSCT ?

Par ailleurs, son hostilité à toute interférence syndicale dans le cadre du dialogue entre le chef d’entreprise et les salariés est encore une fois un marqueur de sa culture, dominée par la défiance à l’égard d’une représentation encore à construire, particulièrement dans les petites entreprises.

Monsieur Lemoyne, c’est vrai que vous faites preuve d’une plus grande subtilité à propos de l’article 2, mais le résultat est le même. Vous démolissez la finalité de cet article, qui focalise aussi les contestations à gauche, en supprimant, à l’article 10 – un texte se considère dans sa globalité, et non pas « en tranches » –, le principe de l’accord majoritaire à 50 %, qui constituait pourtant depuis 2008 le dénominateur commun à toutes les organisations syndicales. Au passage, vous remettez les clés du référendum au seul employeur.

Là encore, la défiance l’emporte, et le conservatisme triomphe. C’est précisément parce que nous ne voulons pas que l’employeur décide seul que nous voulons donner plus de place à la négociation dans l’entreprise ; c’est aussi un facteur de vitalité syndicale.

Vous rompez avec l’équilibre du texte s’agissant de la négociation dans l’entreprise. Vous voulez à la fois moins de règles et moins de droits. Pour notre part, nous voulons que la loi constitue un socle fondamental des règles et des droits, tout en autorisant leur construction par l’implication des acteurs concernés, au plus près de leurs aspirations.

Les salariés exerceront mieux leur contrôle sur la représentation syndicale au niveau de l’entreprise. Ce texte, qui a été diffusé auprès d’un large public, constitue un exercice démocratique, puisqu’il s’agit de mettre en phase la démocratie politique et la démocratie sociale.

La démocratie politique – je le dis à mes collègues qui comptent sur les manifestations pour nous faire reculer –, c’est celle qui s’exerce dans la vie parlementaire. 

La droite sénatoriale fait comme si nos collègues socialistes n’avaient pas travaillé à l’Assemblée nationale, aboutissant à l’adoption de 761 amendements, qui ont modifié le projet de loi transmis au Sénat. Elle a nié ce travail, en cherchant à limiter considérablement le compte personnel d’activité, qui constitue un formidable outil de sécurité professionnelle et, bien au-delà, d’émancipation individuelle. Elle a refusé aux jeunes qui n’ont rien, aucun soutien, aucun filet de sécurité, la garantie qu’ils seront tous accompagnés dans leur parcours professionnel et leur entrée dans la vie active. Elle a remis en cause le compromis sur les licenciements collectifs trouvé à l’Assemblée nationale.

Avec la réécriture sénatoriale, il suffira désormais d’une seule condition pour engager ces licenciements collectifs, alors que les députés avaient choisi des conditions cumulatives et que la jurisprudence appréciait un « faisceau d’indices ». Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.

Certains souhaitent d’un air apitoyé aux membres du groupe socialiste bien du courage. Je veux les rassurer : depuis quatre ans, nous n’en avons jamais manqué !

D’autres, condescendants ou faussement compassionnels, considèrent l’exercice sénatorial comme un exercice de style. Libre à eux de penser ce qu’ils veulent ! De notre côté, nous soutiendrons notre ministre. Nous mènerons avec elle un travail pédagogique sur cette réforme, qui se heurte à des obstacles culturels – je peux le comprendre – et idéologiques, chacun se faisant sa propre représentation du monde et ayant ses propres pratiques. Nous sommes lucides : ces obstacles sont réels et ce sont souvent les plus difficiles à surmonter.

Passer d’une culture du conflit à une culture de l’engagement n’est pas simple. Il est tellement plus confortable de se réfugier dans les conformismes habituels que de construire de nouvelles normes et de nouvelles références.

Entre ceux qui veulent démolir notre modèle social et ceux qui ne veulent rien changer, la voie est étroite. Raison de plus pour s’y engager, au travers du triple mouvement offert par le projet de loi : dialogue social, sécurité professionnelle et élargissement des compétences.

Je vous invite donc à débattre et à confronter nos arguments. Nous serons présents tout au long de ces quinze jours pour soutenir ce texte.

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