Ce 19 décembre 2023 restera comme une date sombre dans l’histoire de la République. Un projet de loi sur l’immigration, inspiré du programme historique de l’extrême-droite, vient d’être adopté par le Parlement grâce aux voix du Rassemblement national.
Préférence nationale dans l’attribution des aides sociales, déchéance de nationalité, remise en cause du droit du sol, durcissement du regroupement familial, attaques contre les étudiants étrangers et les étrangers malades, exclusion des étrangers sans papiers de l’hébergement d’urgence… La minorité présidentielle avait fixé des lignes rouges, elles ont toutes été allègrement transgressées et ce sont désormais les lignes bleu marine qui sont franchies.
Ils ont tout cédé. Leurs amendements, leurs articles, leurs valeurs, leur honneur. Cette loi Darmanin-Le Pen-Ciotti est une infâme loi raciste de police des étrangers. Elle demeurera comme le moment où le mandat d’Emmanuel Macron s’est vautré dans le déshonneur.
Les parlementaires socialistes saisiront le Conseil constitutionnel afin d’obtenir la censure de cette loi.
En 2017 et en 2022, nous avons uni nos voix contre le Rassemblement National pour faire élire Emmanuel Macron. Ce temps est désormais révolu, puisque le gouvernement en est désormais le porte-voix. Le Président du barrage républicain est devenu celui du naufrage républicain.
Le discours de Patrick Kanner en discussion générale
Monsieur le président, Monsieur le ministre, Monsieur le président de la commission des lois, Madame et Monsieur les rapporteurs, mes chers collègues,
Depuis hier, nous avons eu, avec mes collègues Marie-Pierre de la Gontrie et Corinne Narassiguin, la charge et l’honneur de porter dans cette CMP, certes les propositions de notre groupe, mais surtout la défense des valeurs de notre pays.
Dans son histoire, la France s’est aussi construite avec l’apport et la contribution des populations étrangères. Parfois même au prix de leur sang.
Aujourd’hui encore : sans les travailleurs étrangers, les hôpitaux où vous vous faites soigner, les aides à domicile qui prennent soin de vos parents, les maisons que vous faites construire, le supermarché où vous faites vos courses, rien de tout cela ne pourrait fonctionner. Et vous le savez.
C’est à eux que je pense ce soir. A chacune de ces personnes qui ont fait le choix, souvent contraint, de s’installer sur notre sol, d’y fonder leur famille et d’y construire une nouvelle vie.
Car il s’agit bien de cela. De vies humaines, avant tout. Qui méritent notre respect et notre considération.
Quand, le 11 janvier 2023, j’ai reçu au Sénat messieurs Darmanin et Dussopt, ceux-ci avaient vanté l’équilibre de leur projet de loi. Il s’agissait alors de mieux contrôler l’immigration mais aussi de faciliter l’intégration des étrangers dans notre pays.
Ce soir, je le constate amèrement : cette promesse était un leurre. Pour dire les choses clairement, le texte sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer aujourd’hui est un texte de police des étrangers.
Dans la quête d’un électorat perdu, le Gouvernement et la droite ont choisi de se fondre dans la rhétorique que seule l’extrême-droite défendait jusqu’alors : « la France aux Français ».
Je vous le dis comme je le pense : la violence de ce texte nous heurte. Ce texte est une honte.
D’heure en heure, de recul en recul, de marchandage en marchandage, la droite a entraîné la majorité présidentielle dans un ravin populiste, sous l’œil gourmand de l’extrême-droite. En toute logique, celle-ci votera ce projet de loi. Elle aurait même pu l’écrire.
Cette extrême-droite rance, haineuse, qui se frotte les mains en contemplant ce spectacle. Cette mer brune qui fait sauter toutes les digues, les unes après les autres.
Ce soir, je suis inquiet pour mon pays. Pour son avenir. Que reste-t-il de nos valeurs ? De nos idéaux ? De la France, pays des droits de l’Homme ?
Par deux fois, Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir car nous étions nombreux à espérer qu’il fasse barrage à l’extrême-droite. Aujourd’hui, le même Emmanuel Macron amène les idées d’extrême-droite au pouvoir.
Je m’adresse aux parlementaires qui, de bonne foi, ont cru au « en même temps » du président de la République. Ouvrez les yeux ! En 2027, assumerez-vous d’avoir donné corps aux pires lubies de l’extrême-droite ?
Assumerez-vous d’avoir gravé la préférence nationale dans le marbre de la loi ?
Assumerez-vous d’avoir privé les étrangers en situation régulière, ainsi que leurs enfants, de moyens de subsistance pendant plusieurs années ?
Assumerez-vous d’avoir mis à terre les principes de la nationalité ?
Assumerez-vous d’avoir imposé aux étudiants des conditions inatteignables pour rejoindre nos universités ?
Assumerez-vous d’avoir réduit les travailleurs dans les métiers en tension à de simples variables d’ajustement ?
Assumerez-vous de ne pas avoir fermé la porte à la remise en cause de l’aide médicale d’Etat ?
La liste est longue de vos propres renoncements à nos valeurs. Les dispositions que vous avez votées depuis hier soir sont une insulte à nos Lumières.
Comment d’ailleurs nos collègues centristes, depuis la première lecture au Sénat, peuvent-ils accepter de prêter la main à une telle dérive extrémiste, à rebours de leur propre histoire ?
Non, un étranger n’est pas par essence un danger pour notre civilisation, notre mode de vie, notre activité économique. Vous vous êtes laissés submerger par des fantasmes d’un autre temps.
Non seulement vous renoncez à nos valeurs fondatrices, mais avec ce texte, vous ajoutez du désordre au désordre. Le droit des étrangers s’empile, des enfants non accompagnés sont à la rue, les situations des étrangers sont examinées de manière partielle et partiale, les OQTF sont délivrées aveuglément, sans pour autant être exécutées… Ce texte n’y changera rien et va entretenir ce désordre.
Aujourd’hui marque l’entrée de la droite et du centre dans la majorité présidentielle au risque de leur propre disparition.
Aujourd’hui sonne la rupture de la digue défendue pendant de nombreuses années par la droite française avec l’extrême-droite.
Aujourd’hui, le front républicain a fait long feu. Vous avez inventé la cohabitation d’opportunité. La coalition sans contrat. La collusion du renoncement.
Mais rappelez-vous, les Français préfèreront toujours l’original à la copie quand il s’agira d’instaurer la préférence nationale.
Vous avez choisi de tourner le dos à ce beau concept écrit par l’un des vôtres : « Mieux vaut perdre une élection que perdre son âme ».
Vous avez choisi de perdre votre âme.
Pour notre part, en gardant la nuque raide sur nos valeurs, notre groupe votera contre ce PJL.